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Catherine Collombet : L’absence de modes de garde a « un fort effet sur l’activité des mères »

ActualitésPublié le 15 janvier 2024

Sous-directrice de la Mission des relations européennes internationales et de la Coopération à la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf) et collaboratrice scientifique du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Catherine Collombet explique les mécanismes qui font en sorte que les modes de garde peuvent jouer sur l’égalité femmes-hommes.

Catherine Collombet. © Cnaf
Catherine Collombet. © Cnaf

Lorsqu’on ne trouve pas de modes de garde ou qu’on fait le choix de ne pas en chercher, ce sont principalement les femmes qui s’arrêtent de travailler pour garder les enfants. Dans quelles proportions ?

En effet, lorsque les modes de garde ne sont pas disponibles cela a un fort effet sur le comportement d’activité des mères. Sauf à recourir à une garde par l’entourage familial, cela nécessite pour les mères jusque-là en emploi d’interrompre leur activité, pour prendre un congé parental si elles y ont droit (le congé parental s’obtient sous condition d’activité antérieure). Et si elles n’y ont pas accès, les mères qui doivent interrompre leur contrat de travail, n’ont aucune garantie de retour à l’emploi. 

Le congé parental permet de retrouver son emploi précédent ou un poste équivalent à la fin du congé. Il peut être accompagné d’une indemnité, la Prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), si l’on remplit les conditions. La durée d’indemnisation a été modifiée en 2014. Il peut désormais durer six mois maximum pour chaque parent pour un premier enfant, deux ans pour un même parent pour un deuxième, et l’autre parent peut prendre un an. L’indemnité est faible, environ 430 euros mensuels. C’est donc souvent le parent qui a le salaire le plus faible qui prend le congé, le ménage perdant ainsi moins de revenu. Et le plus souvent, ce sont les mères qui le prennent. Selon une étude de l’OFCE, moins de 1 % des pères et 14 % des mères prennent un congé parental à temps plein. Outre l’argument financier, qui est majeur, cela peut s’expliquer par des raisons culturelles, dans les couples, où la répartition des tâches parentales fait que c’est la mère qui s’arrête.

Au-delà du court terme, quels sont les impacts professionnels de ces interruptions de carrière pour les femmes ?

Un nombre significatif de non-reprises de l’emploi, ou de reprises à temps partiel sur ce qui était auparavant un temps plein. L’effet dépend un peu des conditions du congé, de sa durée. L’effet négatif est majoré quand le congé parental est long, avec une perte d’expérience, voire de compétence, ce qui peut entraver la réinsertion sur le marché du travail. Notamment pour les mères aux qualifications faibles. Une analyse de la CNAF en 2019, montrait que la moitié seulement des bénéficiaires de la PreParE à taux plein reprenait une activité professionnelle un an après. 73% bénéficiaient d’un temps plein avant la PreParE à temps partiel, ils ne sont plus que 38% à retravailler à temps plein après. Au global, après avoir touché la PreParE, deux tiers des parents sont en activité réduite ou cessée après. 

On constate aussi un effet négatif sur les salaires et les carrières, lié au comportement des employeurs qui préfèrent recruter ou promouvoir des hommes, moins susceptibles de s’absenter durablement. On parle d’une pénalité de maternité, avec une progression de carrière plus lente pour les femmes lorsqu’elles retournent travailler. Et cela explique une grande partie de l’écart de salaire entre les hommes et les femmes.

Quels autres impacts peut-on distinguer sur l’égalité femmes/hommes ?

Le fait que les mères s’arrêtent a aussi des impacts dans la sphère privée : elles consacrent plus temps dans le couple aux tâches parentales et ménagères, non rémunérées. Les enquêtes emploi du temps de l’Insee montrent que ce temps de travail non rémunéré augmente beaucoup pendant les 3 premières années de l’enfant pour les deux parents, mais que les deux tiers incombent aux mères. Or, la prise d’un congé parental par le père a un impact positif : elle augmente sa participation aux tâches, durant le congé parental, mais aussi pendant les premières années de l’enfant, et conduit à un meilleur partage des tâches dans le couple. C’est aussi du temps passé avec l’enfant, qui renforce le lien père-enfant. Enfin, cela peut avoir des effets indirects sur les représentations collectives des rôles parentaux. Si les pères sont plus nombreux à l’avenir à prendre un congé parental, cela devrait aussi permettre de réduire les stéréotypes de genre qui pénalisent les femmes dans le monde du travail. 

Existe-t-il des solutions qui ont démontré leur efficacité à l’échelle européenne ?

On peut citer deux leviers pour améliorer cette égalité. D’abord, le niveau de rémunération du congé parental, une bonne indemnisation, en pourcentage du salaire antérieur, jouant sur le taux de recours des pères notamment. Cela permet un raisonnement économique différent pour les pères. Mais ça n’est pas suffisant. Une partie du congé doit être réservée au père. Quelques pays ont combiné ces deux éléments et ont pu constater des effets intéressants. La Suède a une longue tradition dans ce sens. Dès 1995, un mois de congé a été réservé au père, ce qui a conduit plus de la moitié des pères à prendre ce congé. Aujourd’hui, 80% environ des pères suédois prennent une partie du congé et les deux tiers prennent plus de 30 jours. L’Allemagne a suivi un peu ce schéma avec une réforme en 2007 qui a rendu l’indemnisation du congé parental non plus forfaitaire mais proportionnelle au salaire antérieur et versée sur une durée plus courte. La part des pères qui prennent le congé parental est passée de quelques pourcents à plus d’un tiers aujourd’hui. Il y a aussi eu de bons résultats au Portugal. 

Et qu’en est-il concernant l’offre de modes de garde ?

Les pays nordiques ont traditionnellement une offre de modes d’accueil très développée, avec un taux de couverture élevé, qui se combine aussi avec des congés parentaux : souvent, les modes d’accueil démarrent à partir d’un an-un an et demi. Avant cela, l’enfant est gardé par les deux parents. L’Allemagne a voulu faire cette transition et le pays a connu un vrai boom en termes de développement des modes d’accueil. Le taux de couverture des enfants de moins de 3 ans atteint aujourd’hui 33 %. En France, notre taux de couverture est plus élevé, avec plus de 50 % en incluant l’ensemble des modes d’accueil, individuel et collectif. 

Pour aller plus loin

Le dossier du magazine Nantes Passion de janvier 2024 est consacré à la question des modes de garde pour les jeunes enfants. Découvrez notre panorama des solutions existantes à Nantes, et des outils que vous pouvez utiliser pour faire garder vos enfants.

 

Nantes Passion N°333 - Enfants: des solutions pour trouver son mode de garde
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